A la rencontre des tortues marines au Chiapas


Bien qu'écrire des articles scientifiques ne soit pas notre activité quotidienne, nous sommes partis sur les routes de la découverte en Amérique, animés par les valeurs de l'OING Objectif Sciences International. Après avoir participé à leur formation d’Éducateurs Scientifiques, nous prenons depuis beaucoup de plaisir à partager nos découvertes à travers nos sites ! 

La grande découverte de cet automne 2016 est pour nous le cycle de vie de la tortue marine Golfina qui vient pondre ses œufs sur les plages du Chiapas. Avec la lune décroissante, nous saisissons l'occasion de participer au programme de sauvegarde mis en place au Chiapas, au "campemento tortuguero" de Puerto Arista...

Toute l'équipe du Campamento Tortuguero nous ont accueillis et nous ont fait découvrir leur travail quotidien

Les tortues marines sont apparues il y 110 millions d'années et ont survécu à ce qui a généré l'extinction des dinosaures. Depuis toujours, la santé et le nombre de tortues marines ont été des indices de la "bonne santé" de la mer et des côtes. Depuis que l'homme est apparu, ils se sont nourris des œufs de tortues marines, en particulier les Pómaros, peuple indigène Nahualt. L'équilibre existait et ne menaçait pas l'espèce. Mais, de plus en plus de pressions sur la population de tortues marines sans respect de leur nombre ou de leurs cycles, les ont rendues vulnérables et leur population a commencé sérieusement à diminuer. 

D'une taille de 60 à 70 centimètres et pouvant peser 40 kilogrammes, les tortues Golfina sont les plus petites des tortues marines. Elles sont trouvées dans les mers tropicales où elles pondent, en particulier sur les côtes du Mexique et d'Amérique Centrale et peuvent migrer jusqu'aux régions sub-tropicales comme au Nord du Chili. Elles trouvent leur alimentation dans les récifs coralliens ou les "prairies sous-marines". Se nourrissant aussi bien de poissons, de crevettes que de végétation sous-marine, elles sont considérées comme omnivores. Sachant qu'elles transportent d'une certaine manière une énergie entre la mer et les habitats terrestres, en particulier dans les écosystèmes comme les plages de nidification et leurs alentours, leur disparition pourrait affecter d'autres espèces de faune et de flore qui dépendant d'elles et de leurs œufs pour survivre.

Milagros, "Miracle" est une tortue Golfina femelle recueillie, ayant perdu sa patte avant suite à une prise dans un filet.

La raison numéro 1 de la disparition des tortues marines est en lien avec le cycle de nidification. Le manque d'éducation à la protection de la faune sauvage, le manque d'option de développement socio-économique, le manque de connaissances du cadre juridique en vigueur mais aussi le manque de vigilance des zones côtières font que des nids sont pillés pour la consommation des œufs de tortues. Certaines tortues sont même sacrifiées afin d'extraire directement les œufs. Par exemple, piller un nid rapporte 150 à 600 pesos (7 à 30 euros) pour 12 œufs et permet au pilleur de vivre ainsi que sa famille, mais c'est un délit fédéral. Les zones de nidification et de reproduction sont aussi devenues réduites du fait du développement des infrastructures touristiques et urbaines, générant une contamination des eaux et des plages, aussi bien toxique que physique (sacs plastiques ingérés par exemple mais aussi troncs, branches et autres matériels végétaux rejetés sur les plages, réalisant une barrière physique à la nidification). Une fréquentation excessive des plages par des véhicules motorisés dans les zones touristiques est à l'origine aussi d'un compactage du sable, rendant difficile la réalisation du nid, mais aussi la libération des petites tortues après éclosion. En 20 ans, de 1965 à 1982, sans vigilance, la population de tortues marines dans le monde a été divisée par deux.

C'est l'heure de changer l'eau de Milagros tout en lui refaisant une beauté !

La protection de la tortue marine au Chiapas a débuté en 1990 sous la tutelle du gouvernement mexicain. Ont été établis 3 campements de tortues initiaux auxquels il faut ajouter aujourd'hui un 4ème campement. Les campements de Puerto Arista, Costa Azul, Boca del Cielo et Barra Zacapulco sont administrés aujourd'hui par le Secrétariat de l'Environnement et d'Histoire Naturelle (Secretaría de Medio Ambiante e Historia Natural). Ces 4 campements permettent de couvrir 150 kilomètres de côtes au Chiapas, soit 60% des côtes de l’État. 



Leur projet ? Protéger les tortues marines bien sûr en favorisant le maintien de la diversité biologique des espèces de tortues qui arrivent sur les côtes chiapanecas et de leurs cycles écologiques en élaborant des plans à court et à long terme. La surveillance des plages, la protection des nids et un programme d'éducation destiné à tous font partie des plans d'action mis en place au Chiapas. Et c'est dans ce projet que nous avons pris beaucoup de plaisir à être acteurs pendant une semaine au campement de tortues de Puerto Arista ! Alors, il est temps que nous vous racontions maintenant en quoi ça consiste d'accompagner et d'aider les hommes de la nuit !

La journée est bien calme au campement des tortues. Les visages de ceux que l'on peut rencontrer sont fatigués et d'autres sont étendus de tout leur poids dans un hamac, dans des positions que seul quelqu’un de très fatigué pourrait supporter... La journée est le temps du repos de ces hommes de la nuit. Ils commencent à s'activer au moment du coucher du soleil pour préparer la nuit qui vient, en particulier sur la période de juin à décembre, période à laquelle la tortue Golfina vient pondre sur les côtes. Le temps de vérifier les quads pour les rondes nocturnes, de faire le plein de sacs destinés à la récolte de la nuit à venir, de s'habiller contre le vent, la pluie, le sable et tous engins volants tout à fait bien identifiés puisqu'ils se sont gorgés de notre sang toute la journée, déjà, il est 22 heures. Avaler un bon café, se mettre quelque chose sous la dent et il est temps d'allumer les moteurs. 

Le campement est situé au milieu d'une plage de 35 kilomètres, distance que nous devons couvrir 2 fois pendant la nuit pour ne manquer aucun nid. Le plus souvent, 3 équipes sont nécessaires pour parcourir efficacement la zone sud et la zone nord. Pour notre première sortie, Ruben au guidon de son quad, est notre pilote vers la zone sud. Nous n'avons plus qu'à nous installer de chaque côté de lui en sautant nous assoir sur les ailes du quad. Et nous voilà partis dans la nuit. Après la journée où nous souffrons particulièrement de la chaleur, mal habitués, la nuit s'annonce fraîche et belle. Le temps de traverser la zone touristique de Puerto Arista, ses nombreux restaurants directement installés sur la plage et ses villas de luxe, les lumières commencent à disparaître derrière nous et nous arrivons sur le territoire des tortues...

 Première nuit, première tortue que nous rencontrons et Ruben nous met au parfum


Les tortues Golfina viennent pondre sur la plage où elles sont nées, 2 fois par an environ. Guidées par l'instinct et l'obscurité des lieux, une vague les dépose sur la plage où lentement, poussant de toute leur force sur leurs 4 pattes palmées, elles rejoignent là où elles déposeront leurs précieux œufs. Une fois que l'emplacement de leur nid est trouvé, si elles n'ont pas été dérangées dans leur ascension sur la plage, elles commencent à creuser à l'aide de leurs pattes arrières, entrant dans une sorte de transe où il n'existe plus pour elles que le besoin de libérer la vie. Il faut les voir faire quand elles creusent avec tant d'énergie et d'obstination ce trou profond de 40 à 50 centimètres.

 
En pleine préparation du nid

Le nid est fait, elle est prête à pondre maintenant 

Quand nous avons la chance d'arriver alors auprès d'elles, nous nous rapprochons doucement et prenons le temps de la regarder faire, gardant une distance respectueuse. Puis, quand le nid est prêt, elle s'immobilise et commence à déposer un à un ses œufs. C'est le signal, Alexandre peut aller les chercher, se plaçant juste derrière elle et glissant son bras dans le nid chaud et humide pour en retirer les œufs et les placer dans un sac à cet effet. La récolte se fait au rythme des œufs qu'elle pond, jusqu'à ce que, nouveau signal, elle commence à vouloir pousser vers le trou le sable à l'aide de ses pattes arrières tout en tapotant de manière à tasser le sable au-dessus du nid. Elle a fini de pondre, le comptage est terminé et nous avons récolté entre 80 et 130 œufs que nous allons pouvoir mettre en sécurité maintenant. 


Parfois, nous ne rencontrons pas la tortue, mais dans notre ronde, nous distinguons les traces fraîches de son aller/retour sur la plage. Là où elle a fait son nid, nous remarquons une zone d'environ 1,5 mètres de diamètre, remuée puis aplanie, Ruben sait qu'il y a un nid et commence à sonder avec un bâton. Comme s'il existait comme un vide au niveau du nid, son bâton s'enfonce d'une certaine manière et il sait que les œufs attendent là. Il n'y a plus qu'à creuser et récolter ce nouveau nid. 

 Une tortue est passée par là !

 Puis elle est partie retrouver la mer et ses migrations

Après environ 4 heures de récolte et de surveillance de la plage, car nous tombons aussi sur des nids pillés avec des traces d'hommes fraîches, nous revenons au campement de tortues où nous attend un tout autre travail. C'est à nous de creuser dans le sable tout comme la tortue pour préparer un nouveau nid dans un espace où tous les nids récoltés sont mis en sécurité. Pour chaque nid, nous vidons un sac plein d’œufs avant de le refermer pour terminer correctement le travail de la tortue. Les œufs situés dans le nid à une température de 26°C environ deviendront des mâles. A 32°C, ce seront des femelles. Il n'y a plus qu'à aller se reposer 30 minutes ou 2 heures avant de repartir pour la deuxième ronde de la nuit. Pour notre première nuit avec Ruben, nous reviendrons de notre virée au nord avec le jour se levant et ayant récolté ensemble 35 nids.

 La maternité

Ce qu'il se passe ensuite ? Chaque nid est matérialisé par un petit dôme de sable auquel est associé un panneau avec la date d’éclosion prévue et le nombre d’œufs présents dans le nid. Les œufs nécessitent de 45 à 55 jours d'incubation avant d’éclore. 40 jours après la récolte est disposée une sorte de cloison destinée à contenir l'éclosion. Tous les œufs n’éclosent pas, mais environ 88% aujourd'hui des petites tortues s'animent le jour de leur naissance, dans un état de "nage frénétique". Il faut les voir faire, toutes ces petites tortues regroupées dans une caisse qui battent de leurs 4 petites pattes palmées pour rejoindre au plus vite la mer. C'est un travail de fin de journée le plus souvent que de libérer toutes ces petites tortues hyperactives, les aidant bien souvent à attraper la vague qui les mènera vers le large. Les prédateurs de la plage sont ainsi évités mais d'autres les attaqueront dans l'eau et leur vie commence durement car sur 1000 libérées, seulement 1 à 3 deviendront un jour adultes... Ce sont les lois de la nature. En tout cas, après cette expérience, nous ne pouvons que vous dire "allez-y !" vous aussi pour participer à ce beau moment de la vie de la terre ! 

Libération des tortues, par Eliana et Ruben

Ainsi, en 2011, pour vous donner quelques chiffres et apprécier le travail ardu des protecteurs des tortues marines :
- 6102 nids ont été récupérés sur les plages du Chiapas,
- 597 260 œufs de tortues Golfina ont été récoltés,
- 465 242 petites tortues ont été libérées à la mer (en moyenne, 84% des œufs récoltés),
- 1014 nids ont été pillés (soit 99258 œufs), c'est à dire 14% de la totalité des nids (50% des nids avaient été pillés en 2001). 


https://youtu.be/ominzUMs9So
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 "Protection de la tortue marine au Chiapas, Mexique"